André Fleury à l'orgue de la Schola
André Fleury
et la
Schola Cantorum
Par ses concerts, ici ou ailleurs, par son oeuvre d'orgue qui, si elle n'est pas immense par le nombre d'opus, n'en occupe pas moins une place de choix dans la littérature du XXème siècle, André Fleury a vu son nom entrer, depuis longtemps déjà, dans l'histoire de la musique.
Mais pour nous, ses anciens élèves, il était d'abord notre maître, notre guide dont l'enseignement fut déterminant pour notre avenir de musiciens.

André Fleury a toujours aimé enseigner ; il nous le disait et il nous le prouvait. D'abord à l'Ecole normale de musique de Paris, ensuite au Conservatoire de Dijon, puis à la Schola Cantorum. L'artiste était grand, très grand et l'homme était bon; nulle sévérité dans son enseignement, même s'il lui arrivait de froncer les sourcils ou de dire "ça, cher ami, ce n'est pas possible...", mais des remarques toujours justes, pour ne pas dire judicieuses, quelques anecdotes, des conseils précieux : telle phrase jouée de telle façon par Bonnet (les respirations dans le trait de pédale solo de la Pièce héroïque) ou par Vierne, une articulation utilisée par Dupré, une respiration qu'affectionnait Gigout. Il évoquait également les improvisations - ou les facéties - de Tournemire, le jeu de Vierne, ou son ami Duruflé, dont il disait avec affection qu'il était "original avec les moyens de tout le monde".
Lui qui était un virtuose comme le XXe siècle en a peu connus, il veillait cependant à ce que l'on ne joue pas trop vite, à ce que la phrase respire, et nous invitait à nous écouter nous-mêmes, lorsque nous jouions. Le tempo était au service de la phrase, et la tenue face à l'orgue était déjà une marque de respect envers l'œuvre que nous allions interpréter. Le choix des jeux était aussi d'une grande importance et André Fleury veillait à la clarté. Rien n'était donc gratuit ou susceptible "de faire joli" ; registration, tempi, articulation et phrasé devaient être au service de la pensée musicale, des intentions du compositeur. Parfois, le maître se mettait à l'orgue et tout devenait alors évident, lumineux.
Après les cours, de temps à autre, nous lui demadions de jouer, par exemple le Vol du Bourdon, de Rimsky-Korsakov, habilement transcrit par Léonce de Saint-Martin, qu'il nous livrait avec une élégance incomparable.
Et puis un mot d'encouragement ; nous quittions alors la Schola et il nous offrait un croissant, après qu'il eût courtoisement ôté son chapeau devant la boulangère, ou une bière, à l'Académie de la Bière qui existe toujours. Et nous, nous lui posions sans cesse des questions, car nous voulions encore son avis, nous lui demandions d'autres conseils et sollicitions ses témoignages sur ses maîtres.
Il parlait de ses tournées et de l'immédiat après-guerre lorsque, parfois, il jouait l'orgue du Théâtre des Champs-Elysées (instrument qui existe toujours mais ne fonctionne plus) durant les projections de films ; "il m'est arrivé d'être applaudi quand un petit trémolo avait plu au public" nous disait-il en riant.
Les cours étaient donc comme une réunion de famille - et ses concerts, un autre moyen d'apprendre -. Nous y venions pour recueillir une tradition, en essayant de nous montrer dignes du chemin qu'il traçait devant nous, et lui s'attachait à transmettre, jamais à imposer, plutôt à suggérer, à révéler, à faire éclore ce qu'il pouvait y avoir en chacun de nous. A la Schola, notre maître était une sorte de jardinier de la musique.
Il s'amusait même de ce que l'on ne manifeste parfois - rarement - que peu d'entrain à ses propositions de travailler telle ou telle oeuvre et, avec une légère ironie, il s'employait à nous en faire avouer les raisons. Il montrait par ailleurs un réel intérêt, non feint, lorsqu'on lui apportait des musiques qu'il ne connaissait pas. Pas un mot plus haut que l'autre, une patience infinie, un rayonnement, une élégance naturelle, une droiture et une foi à toute épreuve, ainsi qu'une modestie désarmante. Lors d'un examen de fin d'année, j'avais choisi son Prélude, Andante et Toccata; André Fleury s'en était presque excusé auprès des membres du jury.
L'homme pouvait avoir le jugement tranché, mais les mots n'étaient jamais blessants, de même qu'il était à des années-lumière des clans, chapelles et autres histoires de tribunes. Il était simplement exigeant avec les autres comme il l'était avec lui-même et la meilleure preuve de son talent de pédagogue, c'est peut-être que, aujourd'hui, aucun de ses élèves ne joue comme il jouait; encore aurait-il fallu que cela se puisse...

Hier nous étions ses élèves, aujourd'hui nous voulons être ses disciples et comment lui témoigner notre immense gratitude autrement qu'en jouant ses oeuvres, belles, fortes et personnelles. Ce n'est pas un devoir de notre part, c'est un bonheur et il sera là, à chaque page que nous tournerons.

André Fleury était un seigneur de l'orgue.

Hervé Désarbre
Organiste titulaire du Val-de-Grâce, Paris

PAGE SUIVANTE : A PROPOS DE LA SYMPHONIE N°2eur
PAGE 1. André Fleury
ACCUEIL