|
||||||
Il a donc 22 ans lorsqu'il remporte, en 1833, ce marché de Saint-Denis, son premier chef-d'uvre qui marque le point de départ d'une nouvelle conception de la facture d'orgues. Soucieux d'apports techniques, ingénieur à l'intuition remarquable, il perfectionne la distribution de l'air (notamment en imaginant des souffleries à pressions diverses, des réservoirs et des boites de régulation de la soufflerie) et la mécanique (avec entre autres la fameuse machine Barker). Il généralise l'usage du pédalier à touches venu d'Allemagne -qu'il considère comme un clavier à part entière- et de la boîte expressive, étend peu à peu les claviers à 56 notes, et modifie l'équilibre sonore de l'orgue, avec l'apparition des jeux harmoniques et le développement des batteries d'anches -il se souviendra de l'Espagne lorsqu'il installera des chamades à Saint Sernin de Toulouse, puis à Saint Ouen de Rouen-. Le maître facteur est présent partout, surveille tout, organise, vérifie et contrôle. Son exigence est grande pour les matériaux, et la manufacture de la rue du Maine compte d'importants stocks de bois, en particulier du chêne de Hongrie. Chef d'entreprise, il est l'un des premiers à utiliser la "publicité" en envoyant des catalogues où figurent les témoignages des grands noms du monde musical, ainsi que les prix et récompenses abondamment glanés, notamment les médailles d'or de 1854 et 1864 décernées par la prestigieuse Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale. De plus, Cavaillé ne se désintéresse pas des instruments qu'il a construit. Sa fille Cécile écrit dans ses mémoires : "le dimanche matin, il faisait le tour de ses orgues et de leurs organistes. A Saint-Sulpice, Lefébure et, depuis 1870, Widor. A Sainte-Clotilde, il trouvait César Franck en butte aux nerfs de son curé qui, au milieu d'une improvisation, le faisait réveiller en plein rêve. L'heure des vêpres voyait encore Cavaillé-Coll à La Trinité, debout, près du clavier de Guilmant, à moins que le Conservatoire, Pasdeloup, Lamoureux ou le Trocadéro ne l'aient attiré au concert". Elle ajoute, parlant du chef d'entreprise : "en fumant un cigare, on s'entretenait des affaires : plans, devis, prix de revient, achats, qualité de l'étain, des bois soigneusement choisis, longuement éprouvés... Puis on passait aux différents étages où travaillaient, dans des spécialités variées, ceux qu'il n'appelait jamais ses ouvriers, mais ses collaborateurs ; à la fonderie, à la forge, à la menuiserie, la sculpture, la mécanique, chez ceux qui font les soufflets, ceux qui fabriquent les tuyaux, et, enfin, ceux qui les harmonisent". Cavaillé-Coll a donc toujours été attiré par les découvertes et les progrès techniques ; plus tard, ne fournira-t-il pas un orgue pour la bénédiction de locomotives à Orléans ? Durant toute sa carrière, Cavaillé bâtit aussi, patiemment, des réseaux d'amitié, de relations, et par le biais de liens familiaux judicieusement créés, il bénéficie ainsi de solides appuis dans la banque, dans la politique et dans le clergé. Loïc Métrope, historien de la manufacture, montre que, grâce à son beau-frère Hippolyte Blanc, chargé des subventions aux édifices religieux au sein de l'administration des cultes, Cavaillé obtient 60% des marchés des orgues de cathédrales ! Cela n'empêchera pas la manufacture de connaître, régulièrement, de sérieuses difficultés financières, voire des quasi-faillites. "Vous êtes un grand artiste et un honnête homme, mais un bien pauvre homme d'affaires" lui dit un jour le directeur des champagnes Moët & Chandon, l'un de ses soutiens moraux et financiers. Son souci d'assurer le prestige de sa maison l'amène souvent, au détriment des devis, à apporter les "derniers perfectionnements" sur les orgues qu'il construit, sans même en parler à ses clients, quand il ne rajoute pas des jeux de sa propre initiative ! |
||||||
Au nombre des appuis du facteur, il faut citer, bien entendu, ceux que lui ont témoignés les principaux organistes de l'époque qui furent les ardents propagandistes de l'uvre de Cavaillé. Parmi les "organistes de Cavaillé-Coll", se trouvent quelques-uns des plus grands noms de l'époque. Tout d'abord Lefébure-Wély, qui fut organiste de La Madeleine puis de Saint-Sulpice. C'est alors la grande "star" de l'orgue. Nulle inauguration ne peut se concevoir sans lui, Liszt va le voir à sa tribune et Franck lui dédie son Final pour orgue, mais il a aussi de féroces détracteurs. Aujourd'hui, l'on redécouvre un musicien qui n'ignore rien des couleurs de l'orgue, des possibilités de l'instrument de Cavaillé-Coll et possède un réel talent de mélodiste. Cavaillé-Coll et lui sont amis, jusqu'à ce que les liens se distendent. "Nous avons grandi tous deux l'un avec l'autre ; je veux que cette fraternelle association ne s'éteigne que par la mort de l'un de nous deux" écrit Lefébure, tandis que de son côté, Cavaillé confie : "Notre ami Lefébure à joué une entrée et une sortie qui ont duré chacune près d'une demi-heure, et je vous assure que rarement l'organiste moderne, j'allais dire modèle, s'est élevé à de pareilles hauteurs". Il y a aussi Saint-Saëns, organiste réputé en son temps, titulaire des tribunes de Saint Merry puis de la Madeleine, et qui prit part aux inaugurations des grands Cavaillé-Coll de Saint Sulpice, Notre-Dame, La Trinité et du Trocadéro. Et Guilmant : "J'ai à la Trinité un grand orgue dont le mécanisme n'a pas été retouché depuis plusieurs années et qui néanmoins fonctionne avec une précision mathématique. Ce que j'admire le plus dans les ouvrages de M. Cavaillé-Coll, c'est l'art avec lequel ses jeux sont harmonisés, leur variété de timbres et la rondeur des jeux de fond. Pour me résumer, je crois en conscience que M. Cavaillé-Coll est certainement le plus habile facteur d'orgues de notre époque". Mais Franck est sans doute le nom qui est le plus immédiatement associé à celui de Cavaillé-Coll, lequel est retenu pour construire le grand-orgue de la nouvelle église Sainte-Clotilde. Inauguré en décembre 1859 par Lefébure-Wély et par Franck, celui-ci en devient le premier titulaire. Cet instrument devient vite légendaire, tant par la personnalité de Franck et les noms prestigieux qui lui succéderont, que par l'art du facteur d'orgues. Jusqu'en 1860, Franck, qui est depuis un an aux claviers de ce nouvel instrument, n'a composé que quelques pages pour orgue, d'importance modeste. A l'instar de Cavaillé qui révolutionne la facture d'orgues, Franck est l'auteur du renouveau de la littérature musicale pour orgue . Viennent les Six Pièces, puis les Trois Pièces, composées pour l'inauguration de l'orgue du Trocadéro et enfin les Trois Chorals. Franck supplante Lefébure dans le cur de Cavaillé. Tenu pour l'un des chefs d'uvre absolus du maître facteur, cet orgue de Sainte-Clotilde fut dénaturé sous Tournemire. "Cet orgue était tout à fait différent de Notre-Dame, d'abord par ses dimensions, mais aussi par son harmonisation exceptionnelle. C'est le seul orgue qui vous donnait l'impression d'avoir quelque chose de vivant sous les doigts. Du reste, avec une composition tout à fait banale, tout faisait bien, quelque jeu que l'on tire", témoignait André Fleury, qui fut suppléant de Tournemire et connut l'instrument avant transformations. La facture de Cavaillé sera ensuite glorifiée par des compositeurs tels que Widor ou Vierne. Comment séparer l'orgue de Saint-Sulpice des uvres de Widor, l'instrument de Notre-Dame de celles de Vierne ? En avril 1862, le grand-orgue de Saint-Sulpice, reconstruit par Cavaillé-Coll -qui conserve une part importante de l'ancienne tuyauterie-, sonne pour la première fois à Pâques. Le 29 avril, il est inauguré par Alexandre Guilmant, César Franck, Camille Saint-Saëns, Basille et l'organiste titulaire Georges Schmitt. C'est l'un des trois orgues de 100 jeux en Europe, avec le Walcker de Ulm, en Allemagne, et le Willis de Liverpool. En 1870, Widor s'installe à la console et devient le père de lorgue fait orchestre, son oeuvre, hymne à linstrument-roi, célèbrant avec éclat la facture de Cavaillé-Coll. |
||||||
RETOUR ACCUEIL | ||||||