Jean-Paul II et les malades - suite
9. L'exemple du Christ, bon Samaritain, doit inspirer l'attitude du croyant en l'amenant à « se faire proche » de ses frères et soeurs qui souffrent, par le respect, la compréhension, l'acceptation, la tendresse, la compassion, la gratuité. Il s'agit de lutter contre l'indifférence qui porte les individus et les groupes à se refermer de manière égoïste sur eux-mêmes. Dans ce but, « la famille, l'école, les autres institutions d'éducation - ne serait-ce que pour des raisons humanitaires -, doivent oeuvrer avec persévérance à l'éveil et à l'affinement de cette sensibilité envers le prochain et sa souffrance » (Salvifici doloris, 29). Chez celui qui croit, cette sensibilité humaine est assumée dans l'agapè, c'est-à-dire dans l'amour surnaturel qui porte à aimer le prochain par amour de Dieu. En effet, lorsqu'elle entoure de soins affectueux tous ceux qu'afflige la souffrance humaine, l'Église, conduite par la foi, reconnaît en eux l'image de son Fondateur pauvre et souffrant, et elle s'empresse de soulager leur indigence, se souvenant de ses paroles : « J'étais malade et vous m'avez visité » (Mt 25, 36). L'exemple de Jésus, bon Samaritain, ne pousse pas seulement à assister le malade, mais aussi à faire tout ce qui est possible pour le réinsérer dans la société. Pour le Christ, en effet, guérir est en même temps réintégrer : comme la maladie exclut de la communauté, ainsi la guérison doit porter l'homme à retrouver sa place dans la famille, dans l'Église et dans la société. À tous ceux qui sont insérés, que ce soit professionnellement ou par choix volontaire, dans le monde de la santé, j'adresse une chaleureuse invitation à fixer leur regard sur le divin Samaritain, afin que leur service puisse devenir une préfiguration du salut définitif et une annonce des cieux nouveaux et de la terre nouvelle « où résidera la justice » (2 P 3, 13).
10. Jésus n'a pas seulement soigné et guéri les malades : il a été aussi un infatigable promoteur de la santé par sa présence salvifique, son enseignement, ses actions. Son amour pour l'homme s'est traduit par des rapports pleins d'humanité, qui l'ont conduit à comprendre, à montrer de la compassion, à apporter du réconfort en unissant harmonieusement tendresse et force. Il s'est ému devant la beauté de la nature, il fut sensible à la souffrance des hommes, il a combattu le mal et l'injustice. Il a affronté les aspects négatifs de l'expérience avec courage et sans en ignorer le poids, il a communiqué la certitude d'un monde nouveau. En lui, la condition humaine a montré un visage racheté et les aspirations humaines les plus profondes ont trouvé leur réalisation. Cette plénitude harmonieuse de la vie, il veut la communiquer aux hommes d'aujourd'hui. Son action salvifique vise non seulement à combler l'indigence de l'homme, victime de ses limites et de ses erreurs, mais à en soutenir la tension vers la complète réalisation de lui-même. Il ouvre devant l'homme la perspective de la vie divine elle-même : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jn 10, 10). Appelée à continuer la mission de Jésus, l'Église doit se faire la promotrice d'une vie ordonnée et pleine pour tous. La défense de la vie
11. Dans le cadre de la promotion de la santé et d'une qualité de vie bien comprise, deux devoirs méritent une attention particulière de la part du chrétien. Tout d'abord, la défense de la vie. Dans le monde contemporain, beaucoup d'hommes et de femmes se battent pour une meilleure qualité de vie, dans le respect de cette vie elle-même, et réfléchissent sur l'éthique de la vie pour dissiper la confusion des valeurs qui est parfois présente dans la culture actuelle. Comme je l'ai rappelé dans l'Encyclique Evangelium vitae, « la reprise de la réflexion éthique au sujet de la vie est particulièrement significative ; la création et le développement constant de la bioéthique favorisent la réflexion et le dialogue - entre croyants et non croyants, de même qu'entre croyants de religions différentes - sur les problèmes éthiques fondamentaux qui concernent la vie de l'homme » (n. 27). Malheureusement, à côté de ceux-ci, un bon nombre coopèrent à la formation d'une culture de mort préoccupante, par la diffusion d'une mentalité imprégnée d'égoïsme et de matérialisme hédoniste, et cela avec l'appui légal et social de la suppression de la vie. À l'origine de cette culture, il y a souvent « une attitude prométhéenne de l'homme qui croit pouvoir ainsi s'ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu'il en décide, alors qu'en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance » (Evangelium vitae, 15). Quand la science et l'art médical risquent de perdre leur dimension éthique native, ces professionnels du monde de la santé « peuvent être parfois fortement tentés de se transformer en agents de manipulation de la vie ou même en artisans de mort » (ibid., 89).
12. Dans ce contexte, les croyants sont appelés à porter un regard de foi sur la valeur sublime et mystérieuse de la vie, même quand celle-ci se présente comme fragile et vulnérable. « Ce regard ne se laisse pas aller à manquer de confiance devant celui qui est malade, souffrant, marginalisé ou au seuil de la mort ; mais il se laisse interpeller par toutes ces situations, pour aller à la recherche d'un sens et, en ces occasions, il est disposé à percevoir dans le visage de toute personne une invitation à la rencontre, au dialogue, à la solidarité » (ibid., 83). C'est là une tâche qui revient tout particulièrement à ceux qui travaillent dans le domaine de la santé : médecins, pharmaciens, infirmiers, aumôniers, religieux et religieuses, administrateurs et volontaires qui, en vertu de leur profession, sont appelés à un titre spécial à être les gardiens de la vie humaine. Mais c'est une tâche qui revient aussi à tout être humain, à commencer par les proches de la personne malade. Ceux-ci savent que « la demande qui monte du coeur de l'homme dans sa suprême confrontation avec la souffrance et la mort, spécialement quand il est tenté de se refermer dans le désespoir et presque de s'y anéantir, est surtout une demande d'accompagnement, de solidarité et de soutien dans l'épreuve. C'est un appel à l'aide pour continuer d'espérer, lorsque tous les espoirs humains disparaissent » (ibid., 67). Une vision chrétienne de la santé et de l'écologie
13. Le second devoir, auquel les chrétiens ne peuvent se soustraire, concerne la promotion d'une santé digne de l'homme. Dans notre société, le risque existe de faire de la santé une idole à laquelle est asservie toute autre valeur. La vision chrétienne de l'homme s'oppose à une notion de la santé réduite à une pure vitalité exubérante, satisfaite de son efficacité physique et absolument fermée à toute considération positive de la souffrance. Cette vision, parce qu'elle néglige les dimensions spirituelles et sociales de la personne, finit par compromettre son vrai bien. Précisément parce que la santé ne se limite pas à la perfection biologique, même la vie vécue dans la souffrance offre des espaces de croissance et d'autoréalisation, et ouvre la route à la découverte de valeurs nouvelles. Cette vision de la santé, fondée sur une anthropologie respectueuse de la personne et de son intégrité, loin de s'identifier avec la simple absence de maladies, se présente comme une tension vers une plus grande harmonie et un sain équilibre aux niveaux physique, psychique, spirituel et social. Dans cette perspective, la personne elle-même est appelée à mobiliser toutes ses énergies disponibles pour réaliser sa propre vocation et le bien d'autrui.
14. Ce modèle de santé engage l'Église et la société à créer une écologie digne de l'homme. L'environnement, en effet, a une relation avec la santé de l'homme et des populations : il constitue « la maison » de l'être humain et l'ensemble des ressources confiées à sa garde et à son gouvernement, « le jardin à garder et le champ à cultiver ». Mais à l'écologie qui est extérieure à la personne, on doit joindre une écologie intérieure et morale, la seule qui soit appropriée à un juste concept de la santé. Considérée dans son intégralité, la santé de l'homme devient ainsi un attribut de la vie, une ressource pour le service du prochain et une ouverture à l'accueil du salut.
15. En l'année de grâce du Jubilé - « année de rémission des péchés et des peines dues au péché, année de la réconciliation entre les adversaires, année de multiples conversions et de pénitence sacramentelle et extra-sacramentelle » (Tertio millennio adveniente, 14) -, j'invite les pasteurs, les prêtres, les religieux et les religieuses, les fidèles et les hommes de bonne volonté a faire face avec courage aux défis qui se présentent dans le monde de la souffrance et de la santé. Que le Congrès eucharistique international, qui sera célébré à Rome en l'An 2000, devienne le centre idéal à partir duquel rayonnent des prières et des initiatives aptes à rendre vivante et active la présence du divin Samaritain dans le monde de la santé. Je souhaite de tout coeur que, grâce à la contribution des frères et des soeurs de toutes les Églises chrétiennes, la célébration du Jubilé de l'An 2000 puisse marquer le développement d'une collaboration oecuménique dans le service d'amour rendu aux malades, pour témoigner, d'une manière compréhensible par tous, de la recherche de l'unité sur les routes concrètes de la charité. J'adresse un appel spécifique aux Organismes internationaux politiques, sociaux et sanitaires, pour que, dans toutes les parties du monde, ils se fassent les promoteurs convaincus de projets concrets de lutte contre tout ce qui porte atteinte à la dignité et à la santé de la personne. Sur ce chemin d'une participation active aux expériences de nos frères et de nos soeurs malades, que la Vierge Mère nous accompagne, elle qui, au pied de la Croix (cf. Jn 19, 25), a partagé les souffrances de son Fils et qui, devenue ainsi « experte » en souffrance, exerce sa constante et tendre protection sur tous ceux qui vivent dans leur corps et dans leur esprit les limites et les blessures de la condition humaine. À elle, Santé des malades et Reine de la paix, je confie les malades et tous ceux qui leur sont proches, afin que, par sa maternelle protection, elle les aide à être des propagateurs de la civilisation de l'amour. Avec ces souhaits, j'accorde à tous une spéciale Bénédiction apostolique.
De Castel Gandolfo, le 6 août 1999, en la fête de la Transfiguration du Seigneur
JEAN-PAUL II
Texte original italien dans l'Osservatore Romano du 7 août. Traduction, titre et sous-titres de la DC. La documentation catholiqueN°2212du17/10/1999-Actes du Pape Jean-Paul II- page867-
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